02/12/25
La Bubble Life
« Une polycrise n’est pas simplement une situation où plusieurs crises surviennent en même temps. C’est un contexte… où l’ensemble devient encore plus dangereux que la somme de ses éléments. »
Bon, on l’avoue, cette phrase n’est pas de nous. On aurait bien aimé, mais non. C’est Adam Tooze, auteur et professeur à l’université de Columbia, qui décrit avec justesse l’air du temps. Entre crise écologique, crise économique, crise sociale et guerres, force est de constater qu’il devient de plus en plus difficile d’avoir confiance en l’avenir. En 2024, seuls 36 % des Français se déclaraient optimistes selon un sondage Ifop–Fiducial.
Face à cette inquiétude généralisée, la première réaction est un rejet de l’extérieur et un repli vers l’intérieur, sur soi. 82 % des Français éprouvent de la fatigue ou du rejet face à l’actualité, estime le baromètre La Croix–Verian–La Poste. Les individus cherchent des repères dans ce chaos. En réaction, on observe un retour à ce qu’ils contrôlent le mieux : eux-mêmes, leur intimité. Dans une culture hyper-individualiste, telle que l’analyse Gilles Lipovetsky, les aspirations et désirs personnels priment désormais sur les intérêts collectifs.
À travers les recherches de notre pôle planning stratégique (c’est lui-même qui vous écrit ces lignes d’ailleurs 👋), nous avons identifié un signal fort que nous appelons la « Bubble Life ». Pourquoi ? Déjà parce que tout sonne mieux en anglais, mais surtout parce que ce terme encapsule un mouvement de fond : un repli volontaire face au caractère anxiogène de l’époque.
Sans plus attendre, voici 4 tendances qui illustrent parfaitement cette Bubble Life :
Le Culte de la Solitude
En France, 62 % des 18–24 ans se sentent souvent seuls, selon une étude Ipsos de juillet 2024. De nombreux témoignages sur TikTok illustrent ce phénomène mondial, parfois qualifié de « Loneliness Epidemic ».
Certaines recherches suggèrent que l’urbanisation et l’hyperconnexion de nos modes de vie y contribuent fortement. Même entourés de personnes, d’informations et de contenus, beaucoup expriment la difficulté à trouver leur place. La solitude résulterait donc moins d’une distance physique que d’une distance émotionnelle.
Pourtant, face à ce sentiment de distance émotionnelle, une autre voix s’élève, une voix qui encourage à embrasser cette solitude pour mieux se comprendre et pouvoir, in fine, se reconnecter aux autres et à la société.
Monika Jiang, sorte de coach et gourou du développement personnel, a fondé le projet « Sharing Our Loneliness », qui propose retraites, conférences et workshops autour du sujet pour accompagner les individus à explorer leur solitude et à se reconnecter aux autres.
De son côté, le voyagiste Black Tomato a enregistré une progression de 40 % de ses réservations pour ses camps Blink, implantés dans certains des endroits les plus reculés du monde.
Le Bed Rotting
« Pourrir au lit », ça vous dit ?
C’est la traduction littérale du « Bed Rotting ». Mais cette tendance exprime surtout un désir de s’offrir un moment à soi, sous sa couette, avec quelque chose à grignoter en bonus, loin des turpitudes du monde.
Cette nouvelle forme de « Me Time » a émergé comme tendance en 2024, notamment sur TikTok, et fait couler beaucoup d’encre.
D’un côté, il y a ceux qui soutiennent que, dans le monde actuel, il est nécessaire de prendre un peu de recul pour se recentrer sur soi. Comprendre : « faire l’autruche, c’est bon pour votre santé mentale ».
De l’autre côté, certains estiment que cette pratique s’apparente à du bien-être toxique, qui cache une souffrance mentale réelle, ou qu’elle ouvre la porte au #noncommittal, un terme pour justifier l’annulation d’une activité amicale à la dernière minute au nom du « self-care ».
La Dermorexia
Le terme « dermorexia », inventé par la critique beauté Jessica DeFino, désigne une obsession nuisible et croissante, observée surtout chez les jeunes femmes, pour les soins de la peau. Cette fixation est également un corollaire de la culture hyper-individualiste : importance accordée à l’apparence, standards de beauté imposés par les réseaux sociaux et peur de vieillir. Cette tendance est attribuée à la pression sociétale, mais aussi à un repli sur soi face à la perte de repères dans une société complexe et au manque de contrôle sur nos vies et notre avenir. Dans ce contexte, le corps demeure l’un des rares éléments que l’on peut encore maîtriser.
Face à ce phénomène, les marques de beauté et de dermocosmétique ont un rôle à jouer dans la prévention et la sensibilisation. La présence plus standardisée des peaux imparfaites dans les communications des marques, ou encore des produits comme les « Pimple Patches » — ces patchs qui, bien qu’ils cachent le bouton, subliment l’aspect imparfait de l’individu — racontent : « Vous avez des marques, des boutons ou autre ? C’est ok ! »
On pense aussi à la campagne « The Periodic Fable » de The Ordinary, qui dénonce les dérives du marketing cosmétique. En détournant le tableau périodique, la marque remplace les symboles chimiques par 49 mots-clés issus de la beauté — magique, médical, rajeunissant ou encore venin de serpent organique — pour exposer le vide scientifique qui entoure ces termes tendances et qui participe au phénomène de dermorexia.
Les Experts de Niche
Enfin, ce repli sur soi s’illustre aussi par le désir d’appartenir à des communautés de plus en plus niches, partageant des passions très spécifiques.
Avec la démocratisation de l’IA, il n’a jamais été aussi facile de savoir un peu sur tout. Mais maîtriser parfaitement un sujet très spécifique devient statutaire.
Dans une société globalisée en proie à la standardisation, s’associer à un domaine précis participe à la quête de sens et permet de trouver sa place. Les marques se saisissent de cette tendance et nouent des partenariats avec des créateurs de contenus ultra-niche. Elles deviennent ainsi des curatrices d’idées, de nouveautés et d’expériences pour une audience en attente de contenus et de références très spécifiques.
Pour la collection Gucci X North Face, les marques se sont associées au créateur de contenu Francis Bourgeois, qui partage à sa communauté sa passion pour… les trains.

